Hiëronimus Van Aken, dit Jérôme Bosch :
Le Jardin des délices (musée du Prado, Madrid)
constitue l'une des oeuvres majeures de Jérôme Bosch. Il s'agit d'un triptyque réalisé vers 1500 et qui, ouvert, offre une allégorie de la Luxure,encadrée, à gauche, par le Paradis et, à droite, l'Enfer.
Le panneau central du triptyque,
qui donne son titre à l'oeuvre, est consacré à la tentation et aux joies des sens, mais il s'en dégage une impression de malaise.
Entre le jardin d'Éden et les supplices de l'Enfer, le peintre a représenté, dans le fourmillement d'une humanité livrée à ses passions,
l'éclat fugace des plaisirs érotiques que l'on cueille comme un fruit.
Le volet gauche du Jardin des délices représente le Paradis terrestre avec, au centre, la fontaine de Vie tandis que, en bas, le Christ présente Ève à Adam. Dans toute son oeuvre, Bosch fait preuve d'un sens remarquable de la vraisemblance anatomique. |
Le volet droit du Jardin des délices représente l'Enfer. Le peintre y fait preuve, pour figurer les tourments infernaux, d'une imagination inépuisable comme en témoignent, en bas, les instruments de musique devenus instruments de supplices. |
L'oeuvre de Bosch, eut une portée exceptionnelle dans l'art de son temps par son symbolisme étrange et la richesse de son imagination, servie par une haute qualité picturale. Parmi les grands triptyques de Bosch, le Char de foin (musée du Prado, Madrid) développe le thème de la folie humaine : des personnages réalistes et pittoresques y sont associés à des créatures imaginaires et diaboliques. |
La Nef des fous (vers 1495-1500). Musée du Louvre, Paris. L'orientation de l'oeuvre de J. Bosch, dont l'iconographie fait une large place aux représentations de monstres, aux situations burlesques, scatologiques ou sexuelles, est toujours fondamentalement morale, sinon religieuse. Le thème de ce tableau s'inspire de la Nef des fous (Das Narrenschiff), poème satirique que Sébastien Brant publia à Strasbourg en 1494, et qui connut aussitôt un très grand succès. En une centaine de tableaux successifs où sont dépeints les différents genres de folie, l'auteur proposait une méditation humaniste sur la situation religieuse et politique de la chrétienté. |
Bosch (Hieronymus Van Aken, dit Jérôme)
Peintre des anciens Pays-Bas (Bois-le-Duc, vers 1453 - id., 1516).
L'œuvre peint de Jérôme Bosch, contemporain de Dürer et de Léonard de Vinci, ne peut être rattaché à une école artistique: alors que perce la Renaissance, il reste marqué par les représentations médiévales et semble dicté par des préoccupations morales. Bien que, de son vivant, il connut un grand succès, sa richesse d'invention fait toujours s'interroger sur sa vraie signification: fastes d'enfer ou vision mystique?
La vie
Jeroen Van Aken, dit Jérôme Bosch, peintre des Pays-Bas septentrionaux, naît vers 1453, à Bois-le-Duc, où sa famille, d'origine modeste, probablement originaire d'Aix-la-Chapelle, est établie depuis au moins deux générations. Son grand-père, Jan, et son père, Anthonis Van Aken, exercent le métier de peintre. Par son mariage - vers 1478 - avec une riche aristocrate, Bosch peut accéder à la sécurité financière et à une position sociale plus enviable. À partir de 1486, il est cité comme membre de la confrérie Notre-Dame (certains historiens ont pensé qu'il a pu être, par l'entremise de celle-ci, en relation avec la secte hérétique des frères du Libre Esprit). Ses œuvres sont peu documentées; les rares mentions de commandes faites à l'artiste - entre 1488 et 1491, volets peints d'un retable pour la confrérie Notre-Dame, et, en 1504, le Jugement dernier pour Philippe le Beau, souverain des Pays-Bas et roi de Castille - n'ont pu être rapprochées d'œuvres connues. Le peintre signe ses panneaux "Jheronymus Bosch". Une citation de 1509-1510, inscrite dans les registres de la confrérie Notre-Dame, "Jheronymus Van Aken, scilden, die hem scrit Bosch" (Jheronymus Van Aken, peintre, qui signe Bosch), confirme ce pseudonyme emprunté à sa ville natale - en flamand "'s-Hertogenbosch", d'où, en abrégé, "Den Bosch". Le peintre meurt à Bois-le-Duc, en 1516. Ses premiers biographes restent imprécis sur sa personnalité, sa formation et son œuvre. Le collectionneur don Felipe de Guevara écrit peu avant sa mort, en 1563, les Commentarias de la pinctura, et dédie plusieurs pages à Bosch, dont il avait acquis plusieurs tableaux, que sa veuve cédera à Philippe II d'Espagne. Conservés au musée du Prado, à Madrid, ils forment l'un des témoignages les plus importants sur l'art de Bosch.
Le style
CF : la Nef des fous
L'origine de l'art de Bosch pose un problème difficile à résoudre. Le manque d'informations sur l'apprentissage de l'artiste et sur ses éventuels déplacements hors de sa cité natale ne peut que laisser supposer des influences provenant du nord ou du sud des Pays-Bas. Bois-le-Duc, un temps inclus dans les frontières politiques de la Hollande, dépend de fait, plus naturellement, des Flandres du Sud. Bosch semble s'être inspiré dans la solennité des figures et le rendu des paysages de Rogier Van der Weyden, à Bruxelles, et du Maître de Flémalle, à Anvers. On retrouve également l'influence des peintres de Harlem et de Delft de la fin du XVe siècle, notamment dans ses personnages caricaturaux fermement dessinés et animés. Des historiens d'art fixent l'origine de l'art de Bosch dans le gothique international - style ayant marqué l'ensemble de l'art européen autour de 1400. Les tons clairs, les silhouettes délicates, la facture libre des drapés caractérisent effectivement l'ensemble de l'œuvre du peintre. De plus, les monstres de Bosch semblent directement issus des gravures, enluminures et bestiaires du Moyen Âge. Ces spécificités, le jeune Jérôme Bosch fut à même de les rencontrer dans l'art local de Bois-le-Duc, en retard du fait de son provincialisme.
L'évolution stylistique de Bosch est d'étude complexe; aucune œuvre n'est datée et un grand nombre de panneaux ont été détruits. Les premières œuvres, dont le Christ en croix, reprennent les coloris du gothique international, la perspective héritée des peintres flamands du XVe siècle et une simplification de la composition. Par la suite, celle-ci devient plus élaborée. La palette se réchauffe, les personnages se multiplient, s'animent. Cette période atteint son apogée avec le triptyque du Char de foin. Dans le groupe d'œuvres proches du triptyque des Tentations de saint Antoine, le peintre reprend son ampleur de forme primitive. C'est sans doute à partir de 1508-1510 que les compositions s'apaisent, et que les couleurs, en s'éclaircissant, contribuent à ce gain de sérénité. Ce calme est éphémère, simulé: le mouvement envahit à nouveau les dernières œuvres et atteint son paroxysme avec le Portement de croix. Parallèlement à cette évolution stylistique, un ordre progressif des thèmes principaux ayant inspiré Jérôme Bosch peut être relevé: la cupidité matérielle (le Char de foin), la poursuite des jouissances sensuelles (CF triptyque du Jardin des délices), la tentation intellectuelle (les Tentations de saint Antoine) sont les trois motifs qui éloignent l'homme de son salut. L'origine de ces thèmes, itératifs dans les panneaux de Jérôme Bosch, est à chercher dans les événements de son temps, dans les ouvrages qu'il a pu lire, dans les sermons qu'il a dû entendre.
L'artiste et son époque
CF : le Paradis terrestre, volet gauche du Jardin des délices.
Jérôme Bosch, c'est un artiste médiéval dans un monde en pleine mutation. Les prédications du dominicain Alain de La Roche, mort en 1475, sont à rapprocher du monde pictural de Jérôme Bosch, qu'elles ont très certainement influencé. Ces sermons décrivent "des animaux symbolisant les péchés dont les horribles organes génitaux produisent des torrents de feu et obscurcissent la terre de leur fumée". En 1484 est rééditée à Bois-le-Duc la version hollandaise de l'ouvrage d'un anonyme irlandais, la Vision de Tungdal. Ce poème raconte l'histoire d'un chevalier d'Irlande vivant au XIIIe siècle: après une existence oisive et de débauche, Tungdal visite l'outre-tombe en esprit, et trois jours après réintègre, repenti, son enveloppe humaine. Sa vision est l'une des plus noires du monde médiéval, peuplée de monstres, de serpents, de condamnés aux peines les plus raffinées: les réprouvés, avant de rejoindre l'Enfer, sont forcés de traverser le Paradis resplendissant d'or, de pierres précieuses et de pourpre. Dans un monde marqué par le religieux et le merveilleux, l'œuvre peint de Jérôme Bosch, habité de créatures mystérieuses et monstrueuses, mais toujours d'une extraordinaire inventivité, trouvera de son vivant et après sa mort de nombreux imitateurs ou émules, dont Bruegel ne fut pas le moindre. Ses fantastiques diableries ont pu être décriées, notamment au XVIIIe siècle, mais, au siècle du surréalisme, leur attrait a été reconnu, tout comme les incontestables qualités picturales des tableaux: concision du dessin, richesse des coloris, sens de la composition et du paysage.